Médailles Fields 2014 :  réaction de Marc Peigné, président de la Société Mathématique de France (SMF)

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Marc Peigné,­­­ vous présidez la Société Mathématique de France (SMF), que pensez-vous de ce cru 2014 des Médailles Fields ? 

De part ma fonction, ma première réaction concerne évidemment la médaille d’Artur Avila, mathématicien franco-brésilien, qui confirme le rang de l’école française de mathématiques dans le monde. Son parcours atypique et les conditions de travail qu’il a pu trouver en France, sur les plans scientifique et matériel, sont un encouragement pour l’ensemble de la communauté mathématique française.
Je suis bien sûr aussi impressionné par les contributions des trois autres lauréat(e)s 2014, avec une mention spéciale pour Maryam Mirzakhani, première femme à recevoir la médaille Fields ! Cette récompense au plus haut niveau est un formidable message pour les jeunes femmes, notamment en France, en cette période où  il est très difficile d’attirer les jeunes filles vers les disciplines scientifiques et où les mathématiciennes en poste rencontrent de nombreux obstacles au cours de leur carrière.

Artur Avila, franco-brésilien, met une fois de plus à l’honneur les mathématiques françaises, qui « rivalisent » désormais avec les Etats-Unis en termes de Médailles Fields obtenues, comment expliquez-vous ces bons résultats?

Si l’attribution d’une telle récompense repose évidemment sur les mérites d’Artur Avila, le contexte scientifique et matériel dans lequel celui-ci a pu évoluer y est pour beaucoup. Les mathématiques sont depuis longtemps très développées en France, au plus haut niveau et de façon extrêmement variée. La délégation française invitée à Séoul, forte d’une quarantaine de membres, couvre tout le spectre des mathématiques; les domaines au cœur des fondements comme l’algèbre, l’analyse ou la géométrie, ceux riches d’applications comme les statistiques ou les équations aux dérivées partielles, ceux aux interfaces avec d’autres disciplines telles la physique ou plus récemment la biologie, sans oublier l’histoire des mathématiques ou le partage du savoir avec des publics variés. Cette diversité est le signe de la vitalité de la recherche mathématique en France, bien insérée dans le réseau mondial des mathématiciens. Elle est évidemment un atout essentiel, pour l’attractivité de notre école mathématique et le développement de nouvelles synergies.

Il s’agit là d’une nouvelle reconnaissance pour les mathématiciens français mais également pour les institutions qui les accompagnent : les écoles, universités, organismes de recherche, etc. Est-ce ce terreau riche et fertile qui fait pousser des pépites?

La France compte à ce jour 13 médailles Fields, dont 10 sont des anciens élèves de l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm; la présence des ENS est donc un formidable levier pour attirer et retenir des jeunes mathématiciens brillants. Artur Avila présente un profil tout à fait différent. Formé au Brésil – dont l’école mathématique a tissé des liens très étroits avec la France depuis plusieurs décennies et tout particulièrement en « systèmes dynamiques » –  il a pu trouvé en France des conditions favorables pour mener à bien ses travaux de recherche. Je vois donc dans cette récompense une forme de plaidoyer pour le travail de structuration des mathématiques françaises:
– l’IHES, l ‘IHP et le CIRM (*)  sont de formidables outils qui assurent une visibilité internationale de premier plan,
– le CNRS, par le biais de son Institut National des Sciences Mathématiques et de leurs Interactions (INSMI), et l’INRIA offrent aux jeunes mathématiciens des conditions matérielles attractives en leur laissant en particulier ce temps si précieux pour la maturation de leurs recherches
– un réseau dense de laboratoires sur tout le territoire, coordonné par les instituts nationaux (le CNRS et l ‘INRIA) et représenté par des sociétés savantes dynamiques (la SMF, la SMAI, la SFdS).  Si la majorité des membres de la délégation française occupe un poste dans la région parisienne ou dans un établissement étranger prestigieux, plusieurs d’entre eux viennent d’un établissement en province, illustrant ainsi cette qualité du tissu mathématique sur l’ensemble du territoire. Il existe – au sein des différents laboratoires – une grande variété de postes de chercheurs et enseignant-chercheurs, susceptibles de retenir les jeunes mathématiciennes et mathématiciens en leur proposant des conditions matérielles favorables, et notamment des postes permanents assez tôt dans leur carrière, contrairement à de nombreux autres pays.
Il nous faut cependant rester très vigilants car ces résultats, témoins de l’excellence mathématique française, sont loin d’être assurés pour l’avenir; on ne peut que s’inquiéter du fait que le financement public de la recherche en France soit très en dessous de celui d’autres pays européens, des Etats-Unis  et de  pays émergents.

Quel est l’impact de ces résultats pour le grand public en France, pour le système éducatif?

Au delà des préjugés négatifs sur les mathématiques que l’on entend souvent ici et là, le grand public en France  est de plus en plus conscient de l’ubiquité des mathématiques dans la vie quotidienne et de leur rôle clé pour relever les défis économiques, sociaux et écologiques de ce début du XXIème siècle. Il est bien évidemment sensible aussi à ce maintien de l’école mathématique française au plus haut niveau mondial, comme attesté par la médaille d’Artur Avila, l’importance de la délégation française à Séoul et d’autres distinctions internationales récentes.
En ce qui concerne notre système éducatif, qui montre des signes d’essoufflement comme indiqué par l’enquête PISA fin 2013 par exemple, l’impact de ces résultats au plus haut niveau en recherche fondamentale est plus difficile à identifier. De nombreux acteurs s’intéressent depuis longtemps aux questions de formations et aux moyens de développer l’
appétence des jeunes générations pour les disciplines scientifiques. Les sociétés savantes de mathématiques, et en particulier la SMF, sont fortement ancrées dans la communauté mathématique française; elles sont aussi engagées sur les questions de la formation en mathématiques aux côtés de diverses associations du monde éducatif et scientifique. Ces résultats peuvent donner plus de poids aux propositions qu’elles font régulièrement. Encore faut-il qu’elles soient mieux écoutées par les pouvoirs publics!

 

(*) IHES : Institut des Hautes Etudes Scientifiques 
(Bure-sur-Yvette)

IHP : Institut Henri-Poincaré 
(Paris)

CIRM : Centre International de Rencontres Mathématiques (Marseille)

Propos recueillis par Stéphanie Vareilles 
(Communication-CIRM)

Et sur la chaîne Youtube du CIRM, l’interview de Marc Peigné qui parle du rôle de la SMF, du CIRM, de l’ICM 2014.