À propos des formules mathématiques : formules magiques de "mathémagiciens"? Ce sont des formules qui n’ont aucun sens si on cherche à les comprendre avec uniquement le langage. Pour quelqu’un qui n’a pas fait d’études en mathématiques, ce sont des formules magiques. Ce n’est pas comme une langue étrangère : ce n’est pas pareil. C’est une écriture, c’est une langue étrangère mais pas une langue humaine dans le sens que ce n’est pas une langue tel que les humains en développent entre eux pour pouvoir communiquer spontanément. Les langues qui se développent le plus rapidement, ce sont les langues des signes, les langues des sourds et des muets. Prenez par exemple un petit groupe d’une dizaine de sourds-muets. En une, deux maximum trois générations, ils développeront un langage qui est raisonnable. Il y a d’autres exemples comme les jumeaux qui développent leur propre langage l’un avec l’autre et que personne d’autre ne peut comprendre. C’est très rapide pour les êtres humains de trouver un langage parce qu’on est fait pour parler. Mais pour comprendre le langage mathématique, il a fallu des siècles et des siècles de travail délicat pour que tout se mette en place. C’est bien nous, les humains qui avons créé ce langage mais ce n’est pas la même échelle de temps, la même échelle de longueur. C’est un travail qui a été réalisé par des milliers de personnes sur des milliers d’années littéralement, en terme de construction. Ce que je veux dire, c’est que, pendant 20 ans, 10 personnes suffiront pour développer une langue (au sens classique) complètement nouvelle. Si on voulait inventer une nouvelle langue, ce serait très facile. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs : le nombre de patois, de sous-patois comme en Suisse par exemple. En mathématiques, cela n’a rien à voir : c’est une langue que tout le monde parle et qui a été développée par tout le monde à la fois. Si cela avait été facile de créer le langage mathématique, il y aurait eu plein de sous-langages qui se seraient développés ici et là mais ce n’est pas le cas. Les mathématiques : science ou art ? C’est clairement les deux. C’est une science parce que comme les autres sciences, il y a plusieurs caractéristiques. On ne va pas rentrer de le problème de savoir ce que c’est une science parce que ce n’est pas le bon propos... C’est une science dans le sens où c’est une démarche scientifique que les gens adoptent. Ça veut dire qu’ils construisent une réalité, un truc qui est vrai. Si le théorème est vrai, tout le monde a le même point de vue sur le fait qu’il soit vrai. L’économie n’est pas une science, dans le sens où on ne peut jamais savoir si une théorie est vraie ou fausse. Il y a des gens qui continuent de se disputer pour savoir si des modèles qui ont été trouvés il y a 100 ans sont raisonnables ou pas. En mathématiques, comme en physique ou comme en biologie, on a des résultats. Quand ils sont vérifiés, qu’on sait qu’ils sont vrais, on les publie. On écoute les gens qui les ont publié pas parce qu’ils sont célèbres mais parce qu’ils ont des arguments convaincants et parce que les résultats ont été vérifiés à travers des processus d’évaluation par des pairs. Ça, c’est important. Et de ce point de vue là, en mathématiques, c’est comme dans n’importe quelle science. En ce sens, c’est une science. Mais les mathématiques, c’est aussi une science extrême parce que dans toutes les autres sciences, pour arriver au résultat, on utilise une combinaison de déduction et d’induction. On généralise des exemples, on regarde sur des cas simplifiés, on extrapole, on admet certaines choses comme plausibles. En mathématiques, on n’admet rien ! Tout démontrer et uniquement faire de la déduction ! Il y a de l’induction dans la construction du modèle mais qui n’est pas une étape mathématique proprement dite : c’est de la modélisation. A partir de là, tout doit se déduire uniquement par raisonnement logique et c’est très très dur, c’est très très exigeant. En ce sens, c’est une science extrême. Il suffit de regarder le problème emblématique des mathématiques qu’est l’hypothèse de Riemann. Si on n’était pas en train de parler d’un truc de maths, tout le monde saurait que c’est vrai. Aucune théorie physique n’a été vérifiée avec autant d’exemples que l’hypothèse de Riemann n’a été vérifiée. On a vérifié des centaines de milliards, des billions de zéros : on sait qu’ils sont tous alignés. Il y a aucun domaine de la pensée humaine où une hypothèse que vous trouvez vérifiée des milliards de fois, vous n’êtes toujours pas convaincu. Je dis bien de la pensée humaine, je ne parle même pas de science ! Et en mathématiques, on a ce truc : on l’a vérifié des milliards de fois et on n’est toujours pas convaincu. C’est extrême en ce sens. Et puis les mathématiques, c’est particulier aussi, parce que justement, il y a toute l’importance accordée par les mathématiciens eux-mêmes à des notions qui relèvent du domaine de l’art : notions d’harmonie, notions d’esthétique, notions de surprise, notions de style dans le raisonnement et pas seulement dans les problèmes. C’est un peu faux ce que je vais dire mais, c’est pour donner une image de ce qu’est un mathématicien. En gros, un physicien, c’est quelqu’un qui étudie un problème de physique. Mais un géomètre, ce n’est pas forcément quelqu’un qui étudie de la géométrie. Ou un analyste, comme moi, n’est pas forcément quelqu’un qui étudie de l’analyse. Ça peut être quelqu’un qui étudie un problème géométrique avec des outils d’analyse. Ça peut être quelqu’un qui étudie de la physique avec de la théorie des équations dérivées partielles. C’est le style qui compte en mathématiques pour définir la personne que vous êtes, pas l’objet de votre étude. C’est le style qui compte et c’est certainement pour ça qu’il y a autant d’importance accordée aux questions d’esthétique. Ça c’est beau, ça ce n’est pas beau. Comment va-t-on pouvoir se diriger avec tant de possibilités, tant de styles différents ? Comment choisir ? Les mathématiciens, toujours, qu’ils soient platoniciens ou pas, vont être guidés par cette idée que la bonne solution doit incorporer des éléments qui sont beaux. J’en parlais notamment dans mon exposé (ndlr : BRIDGES 2014 - http://bridgesmathart.org). Certaines formules sont tellement belles qu’elles doivent servir à quelque chose. Les mathématiciens aiment les belles formules pas seulement parce qu’elles sont belles, mais parce qu’ils ont le sentiment que si elles sont belles alors elles vont être utiles. Elles vont être utiles, elles vont être puissantes, elles vont être transmissibles, elles vont résumer beaucoup de choses à la fois et tout de suite. Avec cette idée, on rejoint les anciens idéaux grecques : ce qui est beau est bon. C’est de l’élégance. Les mathématiques, c’est comme en design : il faut à la fois que ce soit beau et que ça marche ! | À propos des rapports entretenus par le couple mathématiques et arts... Il faut tout de même faire gaffe au couple mathématiques et arts parce que ça demande d’être un vrai mathématicien ou bien d’être un vrai artiste. Il ne faut pas croire qu’on va faire une formation mathématiques et arts. Par exemple, il faut d’abord trouver son style dans l’un des deux domaines et très franchement, c’est déjà tellement dur de devenir un artiste ou tellement dur de devenir un mathématicien qu’il ne faut pas espérer être les deux à la fois. Il y a quelques exemples très rares. Fomenko est un exemple de quelqu’un qui sait vraiment dessiner et qui est un vrai mathématicien. Mais la plupart du temps, les projets mathématiques et arts... Disons que les choses intéressantes arrivent à la rencontre des deux cultures. Quand la Fondation Cartier a fait son exposition “Mathématiques, un dépaysement soudain”, c’était systématiquement en appareillant les personnes : un mathématicien, un artiste et ainsi de suite. C’était un bon choix. C’est vraiment très rare de pouvoir faire les deux à la fois. Même Fomenko était un bien plus grand mathématicien que dessinateur même s’il était un très très bon dessinateur. A la conférence Bridges 2014, on le voit bien : le niveau mathématique des participants est extrêmement inégal. C’est toutefois un bon eco-système et c’est très bien que cela existe : au sein de cette exposition coexistent des choses très profondes et des choses très superficielles. Donc quand on dit mathématiques et arts, il faut vraiment faire très gaffe !Il y a des artistes qui utilisent des règles mathématiques pour construire leurs oeuvres et certains arrivent à de bons résultats. A la fin, tout dépend du talent artistique. Il n’y a pas de règle unique : c’est très variable ! Il y a un point commun majeur entre l’art et les mathématiques et cela quel que soit l’art, c’est que dans un cas comme dans l’autre, dans l’art comme dans la mathématique, on représente quelque chose. Dans une construction artistique, on présente soit un monde physique, soit un monde d’émotions qui va être rendu sous forme musicale ou sous forme picturale, etc. On cherche à recréer quelque chose et on cherche à atteindre au niveau des émotions, la personne pour qui on travaille. Ça, c’est l’art qui est donc toujours une représentation de quelque chose, une présentation de quelque chose. Les mathématiques aussi ! Ça, c’est un point commun général. Mais après cela, iln’y a plus vraiment grand chose. Les démarches divergent complètement. Ça se retrouve après le fait qu’il y est des mathématiques dans certaines formes d’art : les mathématiques sont un outil extrêmement puissant de construction. Il y a certaines constructions - comme en architecture - pour lesquelles une dose de mathématiques sera très utile. Après, on peut jouer sur les deux et c’est là qu’on arrive sur le genre d’interactions que je décrivais dans mon exposé à Bridges. À propos de l’interdisciplinarité... Cela arrive de plus en plus souvent pour une raison simple, c’est que les disciplines croissent et croissent et croissent et qu’il y a de plus en plus de surfaces de contact, et de plus en plus d’expériences. Et c’est mon problème parce que tout m’intéresse et ça me perdra ! |
Interview de Cédric Villani : "Les mathématiques, il faut que ce soit beau et que cela marche!"8/27/2014
Par Florian Caullery, Docteur en mathématiques (Aix-Marseille Université) sur place à l'ICM 2014
A propos du CIRM... Pour Jean-Pierre Bourguignon, le CIRM c’est : la bouillabaisse, les calanques, les cigales et bien sûr, les mathématiques ! Le CIRM, il connaît bien pour avoir inauguré en 1982, ce lieu en présence de deux Ministres : à l’époque, Laurent Fabius et Gaston Deferre. Le CIRM fait bien des envieux comme Stephen Huggett qui dit être “so jealous” et cherche à créer un lieu scientifique de cet acabit au Royaume-Uni. Nous avons poursuivi la conversation avec Jean-Pierre Bourguignon qui nous a appris que le Ministre coréen de l’éducation souhaitait tout bonnement supprimer un tiers des heures d’enseignement des mathématiques au niveau du secondaire ! La raison ? Réduire les écarts trop importants des résultats obtenus par les bons et les mauvais élèves au test PISA… Le comité d’organisation de l’ICM, Jean-Pierre et Ingrid organisent une table ronde avec le Ministre coréen pour empêcher cette réforme de passer. Conférence de Jean-Pierre Bourguignon et Cédric Villani. Cédric avait pris en exemple la célèbre citation du comte de Lautréamont dans son exposé du matin : "Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie". Nous lui demandions donc à quelle rencontre absurde il comparerait les mathématiques. La réponse fut assez drôle : "une bulle de savon symbolisant les géomètres et les algébristes (à cause de la forme pure) et contenant le dés des probabilistes venant s'exploser sur le scalpel des analystes". Les questions de nos collègues coréens tournent principalement autour de la vulgarisation des mathématiques. On notera que Jean-Pierre et Cédric partagent sensiblement la même vision du sujet et que leurs propos se complètent mieux que des suites de Cauchy. Si je devais résumer brièvement leur discours je le ferais comme suit : L'effort de vulgarisation que la communauté mathématique a entrepris doit être poursuivi car il est intéressant, à la fois pour les chercheurs et pour le public. En effet, pour réussir à vulgariser une science qui n'est pas naturelle pour l'homme, le chercheur doit trouver des images qui peuvent parler au plus grand nombre. Il doit se placer dans la perspective historique de son domaine. Ainsi, le chercheur aboutit nécessairement à une meilleure compréhension de sa science. La vulgarisation lui offre aussi le moyen d'expliquer sa raison d'être et le fait qu'il soit payé par la communauté en montrant au grand public que les mathématiques ne sont pas une science morte comme ce dernier le croit trop souvent. C'est pour cette raison que Jean-Pierre et Cédric profitent de chaque occasion qu'il leur est donnée pour montrer le côté "humain" de la recherche mathématique. On citera en exemple le livre "Les déchiffreurs, Voyage en mathématiques" et l'exposition "Mathématiques, un dépaysement soudain" à la fondation Cartier pour l'art contemporain. Cédric ajoute que les différents types de médias utilisés ont un effet différent : la télévision a de loin l'impact le plus important mais au détriment du contenu du message, les téléspectateurs retenant bien plus aisément les attitudes et les gestes. Le message sera bien mieux retenu et assimilé à la radio. Il y a eu d'autres questions à propos de l'enseignement des mathématiques. Les points importants soulevés étaient les suivants : • Les mathématiques ne sont pas un processus naturel mais une méthode efficace pour résoudre des problèmes. • Chacun a sa propre approche des mathématiques et c'est pour cette raison que l'enseignement des mathématiques est particulièrement difficile. • Les mathématiques sont compliquées (contrairement à ce que l'on voudrait parfois nous faire croire) et l'assimilation des concepts nécessitent une participation active de l'élève ((Qui ne doit donc pas être paralysé par la peur de l'erreur.)). • L'étude des mathématiques est assimilable à la construction d'un mur de briques. S'il vous manque une brique, le mur ne peut se construire correctement. Il n'y a donc rien de pire que les mauvais professeurs de mathématiques. • L'enseignement devrait se concentrer sur la compréhension des mathématiques et non pas sur l'habilité à faire le plus d'exercices possible en le moins de temps possible. Bien sûr cette approche demande bien plus d'effort aux professeurs. Tenu par Patrick Foulon (Directeur) et Céline Montibeller (IO du CIRM) pendant toute la durée du Congrès, le stand du CIRM (avec la SMF et le CNRS) ne désemplit pas ! Et il est très vite devenu le lieu de rendez-vous pour la communauté mathématique française et européenne : Mireille Chaleyat-Maurel, Jean-François Le Gall, Grégoire Allaire, Christoph Sorger, Etienne Ghys, Isabelle Gallagher, Marie Farge, Laure Saint-Raymond, etc.
Un grand merci à Etienne Goin-Lamourette de la Fondation Sciences Mathématiques de Paris et à Clothilde Fermanian de l'INSMI pour leur aide sur le stand ! Merci aussi à Hyosang Kang et Sungwoon Kim, Postgraduate students du KIAS et à leur patron de thèse Inkang KIM pour l'aide logistique.
Maryam Mirzakhani, Artur Avila, Manjul Bhargava et Martin Hairer reçoivent la Médaille Fields 2014. La cérémonie officielle de remise des prix a eu lieu ce jour à Séoul lors de l'ICM.
C'est une première dans l'histoire de la Médaille Fields (Wikipédia - Médaille Fields), Maryam Mirzakhani, 37 ans, iranienne et professeur à Stanford , est la première femme lauréate de ce prestigieux prix. A ses côtés, le Franco-Brésilien Artur Avila, le Canadien Manjul Bhargava et l'Autrichien Martin Hairer. Artur Avila, 35 ans, est directeur de recherche au CNRS, il travaille au Brésil à l'Institut national de mathématiques pures et appliquées (IMPA) et, en France, à l'Institut de mathématiques de Jussieu. Manjul Bhargava, 40 ans, est professeur à Princeton - Etats-Unis, premier Canadien à remporter ce prix. Martin Hairer, 38 ans, de l'université de Warwick - Grande-Bretagne est le premier Autrichien. Lire ici le communiqué de presse du CNRS à propos du lauréat Franco-Brésilien Artur Avila Au menu, présentation des activités du CIRM par Céline Montibeller, Chargée de coopération internationale (programmes scientifiques 2014, 2015 et 2016, appel à candidatures pour la Chaire Jean-Morlet, etc.), des films scientifiques réalisés au CIRM, du film institutionnel de la Ville de Marseille, etc.
|
Tous les articles:
> Interview de Pascal HUBERT (Aix-Marseille Université) à propos d'Arthur AVILA (Médaille Fields 2014)
Suivez ici l'ICM en live!Le CIRM était présent à Séoul du 13 au 24 août 2014. Le Centre International de Rencontres Mathématiques a effectivement présenté ses activités scientifiques et les services qu'il propose à la communauté mathématique internationale.
Ses correspondants sur place et son desk à Marseille ont suivi l'actualité de l'ICM 2014 et relayé en direct toute l'info de ce rendez-vous majeur pour les mathématiciens sur ce blogue : récipiendaires de la Médaille Fields, interviews de mathématiciens, zooms sur des conférences, etc. Et aussi sur Twitter Et aussi sur Google + L'ICM 2014 c'était du 13 au 21 août 2014 à SéoulAprès Madrid 2006, Hyderabad 2010, le Congrès International des Mathémati- -ciens a été accueilli accueilli à Séoul.
Le Congrès a été organisé par la communauté mathémati- -que coréenne sous l'égide de l'Union Mathématique Inter- -nationale. Cette 26e édition d'une série qui a débuté en 1897 à Zürich et Paris en 1900 a rassemblé plusieurs milliers de mathématiciens du monde entier. Lors de la cérémonie d'ouverture, les lauréats de la Médaille Fields, la plus prestigieuse des reconnais- -sances mathématiques, ont été dévoilés. Les prix Chern, Gauss, Leelavati et Nevanlinna seront également attribués. Le site officiel de l'ICM 2014 Liens utiles
http://www.icm2014.org
http://www.mathunion.org http://smf.emath.fr http://www.cnrs.fr/insmi/ http://www.euro-math-soc.eu Archives |